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Poèmes en écho

En vacance de soi...
Poème de Carole Menahem-Lilin
En écho à un poème de Fernando Pessoa, Lisbon revisited

« Rien ne m’attache à rien
J’ai envie de cinquante choses en même temps
Avec une angoisse de faim charnelle
J’aspire à je ne sais quoi…
De façon bien défini à l’indéfini… »
.....
»

Parfois
Oui parfois on s’éveille
Avec une porte ouverte à la place du cœur.
On ne sait pas bien où l’oiseau s’est envolé
Mais la porte bat, bat, sur la cage vide
Sur l’espace vide entre les côtes et les poumons…

Voyons… il doit bien y avoir là quelqu’un ?
Ou bien… il a bien du pousser quelque montagne ?
Au moins quelque arbre, sur la pente du souffle ?
Une racine où accrocher un nom ?

Mais on ne voit pas.
Cela qui fut soi ne répond même plus à nos noms d’usage,
Usagés, les patronymes.
Quant au prénom, c’est pire : comment répondre à ce qui n’est, à tout prendre, qu’une pré-négation – pré-NON - un préambule, en somme – un déambulatoire…
Cré-nom ! répond le vide à toute tentative d’intimidation.
Héron, quelquefois fait l’écho.
On le regarde errer, sur une patte grise…

On essaye encore, pourtant.
On ne se résigne pas à ces vacances de soi.
Poète ! s’appelle-t-on. Secrétaire ! Air à secret ! Père ! Mère ! Epoux ! (-Ze) ! Enfant ! (-Te) ! Oiseleur ! Oiseleuse !
Oiseux, nous répond-on.
C’est que les titres et emplois familiers vous ont pris un faux air d’imposture.
Après tout, on n’a pas rêvé porter ces épithètes-là.
Certains jours, on ne les supporte plus, voilà tout.
Ils nous tombent des hanches.
Simple question de mode…
On les ré-endossera demain
Quand on aura retrouvé son mode mineur habituel avec sa majorité mentale…
Car il faut être de sens rassis
Pour demeurer assis en soi.

Pour l’heure, l’oiseau s’est envolé
Parti pêcher plus loin…

Il nous prend une angoisse : on se retourne
On sursaute.
On a vu là-bas ses propres yeux –
Sa bouche et puis sa main, ses cheveux (pas très propres), ses orteils – tout cela en ordre dispersé - c’est d’un gênant !
Et sa démarche, on reconnaît sa démarche accrochée aux reins d’une inconnue ou d’un passant pressé.

Quant à son visage, on l’aperçoit là-bas, pris en otage par un mur, oui, un très chic mur de plâtre frais.
Un très chic mur. Tout de même, ça nous fera de ces traces demain…
Et de ces sacs sous nos yeux !
Battu comme plâtre, dit-on. Mais ce n’est pas raisonnable, un visage.
Le nôtre a une passion secrète : dévisager.
Tu n’es pas raisonnable, visage ! cesse de me dépayser.

Quant à nos mains, elles se sont mis en tête (enfin, en tête, façon de dire, voyez comme le langage est trompeur !) – les mains se sont mis en tête, disais-je, de shampouiner les nuages.

La beauté passe par là-dessus, terrible, avec son œil de verre.
On perd le peu d’assise qu’il nous restait.
On penche.
On part de toute urgence à Pise.
Mais notre tour penche à toutes les fenêtres, aux passages cloutés c’est toujours notre tour de passer, de clouer
Dans tous les giratoires nous nous reconnaissons.
Nous nous reconnaissons… naissons.

Et soudain ce n’est plus nous, ce n’est plus vous, c’est l’être,
C’est vous qui aspirez mais l’air qui vous expire
Votre porte est ouverte à la cohorte bleue
Et les gens vous traversent
Vous n’êtes qu’un abri
Vous aimez à mourir,
A tuer tout aussi bien.

Vous avez trouvé, peut-être, le secret de la concorde universelle : le vide, le précipice.
Vous précipiter hors de vous
Vous vider hors de la cage
Vous multiplier à la recherche de vous-même… !

Mais cet éblouissement n’a qu’un temps :
dans votre poitrine, dans la cage vide, un coucou déjà s’est installé
Un gros coucou qui vous appelle
Et se met à battre – coucou ! – le temps et la fumée.

Ainsi vous n’êtes vous-même, peut-être,
Brouillard propice, vertige créateur,
Que quelques matins par an
Avant que la sonnerie du téléphone ne vous rappelle au devoir d’être :
« Et ce papier sur Pessoa, alors, ça vient ? »

 

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